Abdos et « poignées d’amour » : Stop à la flexion latérale (Side Bends) !

Abdos et « poignées d’amour » : Stop à la flexion latérale (Side Bends) !

Tout le monde a déjà vu au moins une fois le sketch de Gad Elmaleh « L’haltérophilie » dans lequel l’humoriste réplique « mais pourquoi tu fais ça ? » Je pourrais poser la même question à tous les pratiquants d’un mouvement parmi les plus répandus dans les salles de musculation, auquel on pense lorsqu’on souhaite perdre ses fameuses « poignées d’amour » et travailler ses abdominaux : la flexion latérale (ou side bends en anglais).

En position allongée et encore plus en station debout, cet exercice à la mode présente des préjudices pour ne pas dire des dangers – même si habituellement je n’aime pas utiliser ce terme pour des mouvements – bien plus importants qu’on ne l’imagine. A l’heure où l’on parle de plus en plus de Troubles Musculo-Squelettiques (TMS), de mal de dos, d’ergonomie, de mouvements fonctionnels, de posture … vous êtes encore trop nombreux (et nombreuses !) à vous employer à ce mouvement, qui, malgré des recommandations, est encore présenté sur des sites, des livres de musculation spécialisés et des contenus de formation.

En constatant le rapport bénéfices/contraintes de cet exercice, comme certains avant moi ont pu le faire pour les crunchs, vous comprendrez mieux qu’il est également temps de laisser de côté ce véritable « danger public » … Et qu’il existe d’autres alternatives bien moins préjudiciables pour le dos et nettement plus efficaces (vidéo à la fin de l’article).

Description du mouvement

La flexion latérale en position debout consiste dans une position stable, dos droit, pieds écartés de la largeur du bassin, à réaliser une inclinaison du buste : d’un côté puis de l’autre si il est réalisé à poids de corps; ou du côté opposé à la masse si il est effectué avec une charge.

Différentes variantes existent parmi lesquelles :

Variante 1 : le mouvement peut également s’effectuer allongé(e) latéralement en appui sur le flanc, au sol ou sur un banc. Les jambes sont le point fixe vers lequel le buste est dirigé, la jambe du dessus est fléchie à 90° pour gagner en stabilité lors de l’exécution (relevés latéraux de buste).

Variante 2 : allongé(e) sur le dos, les genoux fléchis, buste relevé et omoplates décollés du sol (pour la mise en tension de la zone abdominale), on peut de la même manière réaliser une succession d’inclinaison latérale du buste en allant par exemple chercher ses talons ou ses pieds avec ses mains.

Par cet exercice d’isolation et ses variantes, les muscles qui semblent ciblés sont : les muscles obliques (pour tous), le carré des lombes et les lombaires (pour l’exercice principal).

Toutefois des recommandations sur les précautions à prendre et les contre-indications sont mentionnées dans les sites, à l’image du site Superphysique de Rudy Coia, ou dans les livres spécialisés. Frédéric Delavier, auteur que l’on ne présente plus, apporte sur ce point une attention toute particulière (figure 1).

Danger de la flexion latérale de buste par delavier

Figure 1 – Danger de la flexion latérale de buste par F. Delavier

Pour autant, l’exercice reste proposé et les adeptes toujours plus nombreux. Les résultats obtenus par la pratique régulière de cet exercice seraient-ils si remarquables face aux risques encourus ?

Pour Delavier, les dangers proviennent surtout du va-et-vient qui « comprime inutilement la colonne vertébrale. » Pour lui « il est préférable de tenir un seul haltère, et d’incliner le buste du côté opposé à l’haltère. » 

Suffisant ? C’est ce que nous allons voir …

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Rapport bénéfices/contraintes de la flexion latérale de buste

Voyons cela selon différents points de vue :

Au niveau anatomique et biomécanique

Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, quatre facteurs biomécaniques sont déterminants dans la survenue des TMS :

  • la posture
  • la répétition
  • la charge
  • la durée de l’activité

Au vu du premier facteur indiqué à savoir la posture, pensez-vous que la flexion latérale ou inclinaison amène à une position correcte ?

D’un point de vue biomécanique, il faut bien comprendre que la flexion latérale n’est pas un mouvement pur! Comme l’indiquent Dufour et Pillu (2017), « les courbures vertébrales tendent à associer la flexion latérale et la rotation du même côté ». Expliquant que cet effet rotatoire omniprésent est accentué par les ligaments convexitaires, ce qui induit une compression des disques inter-vertébraux du côté concavitaire (courbé).

Concernant la répartition des charges en station debout au niveau de la colonne vertébrale, et plus particulièrement au niveau de l’étage lombaire sur laquelle repose le poids de la tête, des bras et du tronc, elle représente sur le disque L5/S1 une charge d’environ cinquante kilos (charge estimée pour un individu d’environ soixante quinze kilos). Dans cette position « la courbure lombaire naturelle (lordose) ménage une répartition équilibrée des pressions au niveau du disque, et les tensions des ligaments sont les plus faibles. »

En cas de flexion latérale et de rotation du tronc, il faut dès lors comprendre que les pressions exercées sur les disques sont multipliées, et peuvent atteindre plusieurs centaines de kilos! Et sans port de charge. Je vous laisse donc imaginer avec … Pour vous en convaincre, vous pouvez consulter les études de Hindle et al., Seroussi et al.

Sans parler des contraintes biomécaniques sur les structures anatomiques, voire des atteintes des structures de soutien comme le ligament ilio-lombaire (LIL), véritable hauban de la charnière lombo-sacrée (vidéo) dont le rôle principal est d’éviter le glissement de L4 sur L5 et L5 sur S1 (Chow et al., Leong et al.), les modifications de courbures, l’instabilité du bassin et toutes les réactions en chaîne que cela peut engendrer en terme d’incidences tant sur l’intégrité physique que sur la performance globale.

En détail, la simple rotation du tronc provoque au niveau lombal (lombaire) un cisaillement des fibres de l’anneau du disque L5/S1. D’autant que, rappelons le, les amplitudes en rotation à cet étage sont faibles (5 à 10°). Ainsi, si elle est combinée à l’inclinaison du buste, les conséquences sont :

  • augmentation du cisaillement des fibres de l’anneau (annulus fibrosus);
  • augmentation de la pression sur le disque (effet de bras de levier);
  • inversion de la courbure du dos;
  • pincement de la partie antérieure et latérale du disque;
  • étirement de la partie postérieure et latérale du disque.

À savoir que dans tout ça, la vocation fonctionnelle du rachis, notamment au niveau lombaire reste la STABILITÉ, primordiale à l’expression de sa mobilité comme le rappelle les auteurs que je cite ou Frédérick Causse, kinésithérapeute, dans son article sur le gainage. Et sur lequel nous allons revenir.

Si on reprend l’exécution de la flexion latérale, elle est donc le parfait exemple du type de mouvement préjudiciable qu’il faut particulièrement éviter, et qui n’a d’un point de vue fonctionnel, que très peu d’intérêt et de cohérence. Surtout si on s’oblige à une rotation accentuée du buste pour obtenir la contraction volontaire du ou des oblique(s) (notamment), que l’on cherche à solliciter. Et peu importe que l’on tienne seulement un ou deux haltères. La recommandation de Frédéric Delavier n’est donc pas fondée (Jäger et Luttmann).

Selon la logique d’entraînement

La colonne vertébrale ne doit donc pas être soumise à des contraintes exacerbées dans l’entraînement comme dans la vie courante, surtout pour lesquelles ses structures musculo-articulaires et ligamentaires ne sont pas toujours en mesure de réagir (contraintes de charge en torsion et en flexion + compression : Belavý et al., 2016). Comme c’est le cas avec notre exemple, puisqu’une des clés de la stabilité rachidienne est l’absorption des contraintes rotatoires (cf. Fred Causse). Il est donc impératif de la préparer voire de la prémunir contre les déformations auxquelles le rachis est sujet afin de lui permettre de s’adapter. Et d’en assurer au préalable, sa protection et son bon maintien en entraînant toute la structure musculaire soutenant le rachis dans une logique de « core training » (terme utilisé par les anglo-saxons pour signifier l’entraînement du gainage).

Le « core » considéré comme le pilier de la force dont la fonction en plus d’assurer un bon maintien de la colonne vertébrale, est d’assurer « efficacement le lien, le long de la colonne, entre la stabilité des hanches et celle des épaules […] Le but est de faire de ce core un pilier indéformable […] qui permettra, en revanche (des incidences sur la performance globale et l’intégrité physique précédemment citées), de propager le mouvement et ses énergies motrices avec efficience. » (Del Moral)

Comme Benjamin Del Moral le précise dans son livre vers lequel je vous renvoie, on ne doit pas « pour autant abandonner complètement les mouvements en rotation […] car […] dans l’approche articulation par articulation (voir mon précédent article sur l’entraînement fonctionnel) […], une partie du tronc requiert de la mobilité : la colonne vertébrale à l’étage thoracique. » Au contraire de l’étage lombaire qui doit lui, être entraîné en stabilité et non en mobilité. Au vu des explications précédentes, cela s’explique clairement.

Pour aller plus loin, je vous renvoie vers mon dossier sur les lombalgies ainsi qu’aux différentes interactions que nous avons eu sur ma page professionnelle Facebook avec des kinésithérapeutes notamment, via le post ci-dessous.

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Le caractère préjudiciable des inclinaisons latérales en position debout, réalisées à poids de corps ou avec haltères est donc clairement identifiée. Celle de ses variantes même à un niveau moindre, reste embarrassante tant par les aspects que nous venons d’aborder, que par leurs exécutions, terrain favorable à des compensations (placement de la tête, gestion des instabilités, inconfort de position).

De la même manière, il est important de vous mettre en garde contre les mouvements réalisés en flexion et en rotation de buste à la machine. Vous devez vous imposer une limite dans vos mouvements et, éviter toute exagération en terme d’amplitude comme en terme de charge; d’autant plus si vous n’êtes plus en mesure de maintenir un contrôle musculaire optimal durant les différentes phases du geste réalisé.

N’oubliez pas que la qualité et la régularité primeront toujours sur la quantité et la charge immédiate.

Appareil Flexion De Buste Musculation

Figure 2 – Flexion de buste à la machine

Quels mouvements sont préconisés ?

Oubliez donc les crunchs, les flexions et les rotations de buste à outrance. Car il existe d’autres mouvements pour solliciter vos poignées d’amour et vos abdominaux, de manière tellement moins nuisible, plus fonctionnelle et particulièrement efficace.

Je vous propose pour cela un circuit d’exercices qui tient compte de toutes les recommandations vues jusque là et qui je vous l’assure vous apportera de bien meilleurs résultats. Et même pas besoin d’haltères, ni de machines!

Les seuls matériels utilisés sont : un mini-élastique et un tapis de sol. Et pour les plus confirmés d’entre vous des sangles de type « TRX ».

Mini élastiques physiques performance

Circuit « Core training »

Démarche : en partant de notre logique d’entraînement « core training », les mouvements basés sur un gainage statique et/ou dynamique sont la parfaite alternative à cette problématique. Suite à tout ce que nous avons évoqué, vous comprenez bien que les exercices qui vont suivre proposent :

  • comme point fixe : le tronc (et plus particulièrement la zone lombaire) qui devra être le/la plus stable possible quelques soient les contraintes que nous allons lui imposer
  • comme point mobile : les hanches et les membres inférieurs qui vont nous permettre de solliciter les muscles et les chaînes musculaires en question

Exercices : le circuit est composé de trois mouvements de gainage enchainés :

  • gainage ventral « Spiderman » (Spiderman Plank) avec activation du muscle transverse
  • gainage latéral « V » (exercice similaire à Oblique V-up) (côté droit et côté gauche)
  • gainage dorsal « I-V » (Reverse Hyper I-V)

Réalisation : 3 à 4 séries de 45 secondes à 1 minute de travail par exercice en minimisant au maximum les temps de récupération.

Variantes : vous pouvez bien entendu changer l’ordre des exercices, travailler exclusivement de manière statique (isométrique) ou bien alterner des phases isométriques et des phases dynamiques … etc

A noter :

  • Cet exemple d’enchaînement est à réaliser de préférence avant chacune de vos séances pour bénéficier de son principe d’activation des muscles du « core ».
  • Si vous êtes initié(e)s ou si vous présentez une fragilité au niveau de vos genoux, je vous recommande de placer votre mini-élastique juste au dessus de ces articulations. Cela sera plus facile et moins contraignant que l’élastique situé au niveau de vos chevilles.
  • Pour le gainage latéral, vous débuterez toujours par votre côté faible pour « calibrer » et effectuer le même temps qu’avec votre côté fort.
  • N’oubliez pas d’exercer votre transverse régulièrement, en fin de séance par exemple. Les moments respiratoires nécessaires à son renforcement sont une excellente entrée en matière pour un retour au calme.
  • Dans une démarche de progression, et pour éviter de faire toujours la même chose, il est recommandé de varier régulièrement les méthodes et les exercices, ce sur quoi les modalités de l’entraînement sont (normalement) conçues. 

Vidéo :

Pour vous permettre de mieux comprendre l’enchaînement des exercices et les consignes, je vous invite à visionner la vidéo qui suit :

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A la lecture de cet article, vous devriez avoir une réponse claire à la question posée en introduction. Cette publication reste bien entendu une énième recommandation à la manière de Rudy Coia sur son site, ou de Frédéric Delavier dans son livre. Libre à vous d’en tenir compte ou non. Seulement, si vous préférez l’esthétisme et la facilité, plutôt que la santé et l’efficacité peut-être qu’un jour en revoyant ce sketch, vous vous direz (ce que je ne vous souhaite évidemment pas) : « mais pourquoi j’ai fait ça, vraiment. »

Olivier Allain

N’hésitez pas à poser toutes vos questions et à discuter de cet article en laissant un commentaire.

La parole est à vous...

 Christophe Carrio, champion du monde de karaté, coach, auteur et fondateur du CTS

« Un bon article  » 

Christophe Carrio

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Références

Belavý DL., Albracht K., Bruggemann GP., Vergroesen PP., van Dieën JH. Can Exercise Positively Influence the Intervertebral Disc? Sports Med., 46(4):473-85, 2016.

Chow DH, Luk KD, Leong JC, Woo CW. Torsional stability of the lumbosacral junction. Significance of the iliolumbar ligament. Spine (Phila Pa 1976)., 14(6):611-5, 1989.

Delavier F. La méthode Delavier de musculation : volume 2. Vigot, 2010.

Del Moral B. Préparation physique : Prophylaxie et performance des qualités athlétiques. Physiques Performance, 2016.

Dufour M., Pillu M, Langlois K., Del Valle Acedo S. Biomécanique fonctionnelle (2ème édition) : Membres – Tête – Tronc. Elsevier Masson, 2017.

Hindle RJ, Pearcy MJ, Gill JM, Johnson GR. Twisting of the human back in forward flexion. Proc Inst Mech Eng H., 203(2):83-9, 1989.

Jäger M, Luttmann A. The load on the lumbar spine during asymmetrical bi-manual materials handling. Ergonomics., 35(7-8):783-805, 1992.

Leong JC, Luk KD, Chow DH, Woo CW. The biomechanical functions of the iliolumbar ligament in maintaining stability of the lumbosacral junction. Spine (Phila Pa 1976)., 12(7):669-74, 1987.

Seroussi RE, Krag MH, Muller DL, Pope MH. Internal deformations of intact and denucleated human lumbar discs subjected to compression, flexion, and extension loads. J Orthop Res., 7(1):122-31, 1989.

Internet

Anatomie 3D Lyon : chaîne Youtube

Site internet de l’European Agency for Safety & Health at Work : https://osha.europa.eu/fr

Site internet Superphysique : http://www.superphysique.org


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